Mes citations

Toute une palette de couleurs sales, l'ocre jaune des maisons, le gris du béton, les teintes agressives des affiches, l'orange-rouge-vert des feux aux croisements, le camouflage marron-gris des tanks. La ville survivait à la guerre, toujours la guerre. Non, pas vraiment la guerre mais une après-guerre qui ressemblait encore à la guerre.

Naïm était à l'origine de tout, lui et ses désirs de vengeance. Elle ne savait plus si elle l'aimait à en mourir ou si elle le haïssait. Une partie de son âme l'accusait, l'autre l'excusait. Pour l'instant, il lui était impossible de faire la part des choses.

Notre seul bien sur terre ce sont nos ancêtres, nos racines. L'Irak a connu bien des vicissitudes, pas seulement ces dernières années. Nos aïeux ont eu à pâtir de l'occupation britannique puis des insurrections jusqu'à l'indépendance. Avec ta mère, nous avons vécu la montée du parti Baas, l'arrivée au pouvoir de Saddam Hussein, l'espoir qu'il fit naître. Il y eut même quelques années de prospérité grâce aux retombées financières du pétrole. Et, tout de suite après, la tyrannie. Tout le monde tremblait sous Saddam. On disait tout bas qu'avec lui on pouvait toujours améliorer le pire.

Ce qu'ils ignoraient tous, ou presque dans cette armée suréquipée, c'était l'importance des civilisations qui s'étaient succédé dans cette région qu'ils ravageaient. Connaître la différence entre les Perses et les Arabes n'avait pas fait partie de l'instruction militaire. On les avait débarqués dans le désert, remplis des certitudes de la propagande, la tête bourrée d'idées simplistes : à savoir qu'ici coulait l'or noir et que la région abritait des barbares qui en voulaient à l'Amérique.

Quel endroit singulier pour l'honneur d'une famille que l'entrecuisse de leurs filles.

Mais ne nous y trompons pas : ce n'est pas le chômage qui est drôle, c'est la littérature qui peut être une fête.

Si on voyait fleurir [cette haine] par misogynie chez les hommes excités par le pouvoir d'imposer un déshabillement à des collégiennes, il était plus étonnant, plus scandaleux, de la retrouver là par un féminisme de mauvais aloi, s'enfermant dans une unique voie émancipatrice face à des filles pourtant capables de détourner le stigmate pour faire du port du hijab un acte d'émancipation, acte d'une pudeur et d'une religiosité décrétées anachroniques.

On la voyait prospérer, cette haine, sur la perte impardonnée de nos bonnes vieilles colonies ; mais le plus dur était de la retrouver dans le c½ur des électeurs de gauche, grâce aux legs inconscients et déniés de cette colonisation julesferriste qui permet de croire impunément qu'il y a deux classes de citoyens, les petits sauvages à rééduquer et les Lumières de la France, celles-ci en mission pour libérer ceux-là, ce qui permit à une Assemblée essentiellement masculine d'interdire le voile islamique à l'école, loi se présentant comme une défense du Grand-Nous et une élévation des autres, certes forcée, vers les hauteurs de l’athéisme, destination finale de tout bon processus civilisationnel, avec le robot mixeur et la tablette tactile.

Il faut savoir profiter des mamans propices.

(...) j'ai l'impression d'une vie encombrée à ras bords, pas la place d'y fourrer la plus petite goutte d'imprévu, la moindre curiosité.

On finit par ne plus comparer sa vie à celle qu'on avait voulue mais à celle des autres femmes. Jamais à celle des hommes, quelle idée.

Dire le coinçage, l'étouffement, tout de suite le soupçon, encore une qui ne pense qu'à elle, si vous ne sentez pas la grandeur de cette tâche, voir s'éveiller un enfant, le vôtre madame, le nourrir, le bercer, guider ses premiers pas, répondre à ses premiers pourquoi – le ton doit monter de plus en plus pour retomber en couperet – il ne fallait pas en avoir, d'enfant. A prendre ou à laisser le plus beau métier du monde, pas faire le détail. La grandeur je ne l'ai jamais sentie. Quant au bonheur, je n'ai pas eu besoin de J'élève mon enfant pour ne pas le rater quand il m'est tombé dessus certaines fois, toujours à l'improviste. (...) Je n'ai pas besoin de me souvenir de tout pour prouver que j'étais « aussi » une vraie mère, comme autrefois une vraie femme.

Je ne sais pas encore qu'au moment où l'on me pousse à liquider ma liberté, ses parents à lui jouent un scénario tout aussi traditionnel mais inverse, « tu as bien le temps d'avoir un fil à la patte, ne te laisse pas mettre le grappin dessus ! », bien chouchoutée la liberté des mâles.

La fac, pour Hilda, c'est naturel, le cours des choses, pour moi un acte risqué. Devant l'amphi encore fermé, ce petit tremblement prolétaire dissimulé sous le balancement désinvolte du sac où brandouille un classeur, la peur d'avoir l'ambition plus grosse que la tête.

Garçon au désir libre, pas toi ma fille, résiste, c'est le code.

Devenir quelqu'un ça n'avait pas de sexe pour mes parents.

Mais je cherche ma ligne de fille et de femme et je sais qu'une ombre au moins n'est pas venue planer sur mon enfance, cette idée que les petites filles sont des êtres doux et faibles, inférieures aux garçons.

C'est difficile d'être un artiste. C'est difficile d'être n'importe quoi. C'est difficile d'être.

Pour la première fois, je me sentais entourée. Je me sentais – mon Dieu, comment avais-je pu en arriver là ? – fière.

Est-ce qu'elle se remettait en question, puisque c'est elle qui avait élevé sa fille ? Et si elle avait été ma mère, comment aurait-elle réagi ? Qu'est-ce qui l'aurait plus affectée ? Perdre sa fille, ou savoir que c'est elle qui aurait pu tirer ?